Poussière. Boue. Sang. Bleus. Cocards. Faut pas croire comme ça, mais des patates, j’en ai bouffé à mort depuis mon jeune âge. C’est aussi ce qui m’a rapidement rendu tolérant à la douleur, tiens. A faire de moi un p’tit voyou. Aussi, faut dire en même temps, qu’une gueule de p’tit blanc dans l’coin, ça donnait clairement envie de se défouler. Alors, ça y allait à fond la caisse quand ça avait l’occasion de m’en faire voir de toutes les couleurs. Ironique d’ailleurs que je parle de couleurs quand j’évoque ça, tiens. Parce que ouais, toutes mes emmerdes relevaient de ça : les restes d’un apartheid aboli mais qui aura marqué plusieurs générations. Du reste, les documentaires et autres reportages qui montraient qu’une poignée de blancs dominaient toujours l’économie sud-africaine ne versaient pas forcément dans le mensonge, qu’on s’entende bien… Le problème, c’est qu’ils occultaient l’autre versant du conte de fées : des afrikaneers sans l’sou, y’en avait une pelleté.

Ma daronne était dans ce cas. Elle s’était rapidement mariée à un type qui commençait à faire fortune dans l’immobilier. Mon paternel selon ses dires. Malheureusement, quelques mois après ma venue au monde, il avait été criblé de balle. Des saisies judiciaires s’en suivirent et ma mère se retrouva piteusement dans un bidonville pour blancs pas loin de Soweto, le plus grand Township du pays. Misère et décadence. Karma sale. La faute à pas d’chance. Appelez-ça comme vous voulez, mais les faits étaient là… Elle s’était faite enculée par le destin et moi avec… Dès le bas-âge… Comme si j’avais demandé quoique ce soit moi… D’où le fait que quelques années plus tard, je dégustais pratiquement tout le temps dès que j’foutais le pied dehors… Parce que j’étais fils de blancs. Et que je cristallisais une certaine haine qui se comprenait. Même si à huit piges, t’as ni le recul ni l’intellect pour comprendre quoique ce soit. Juste tes mirettes pour chialer comme une pucelle.

C’est à l’orée de mes onze ans que j’ai commencé à me défendre et que j’ai saccagé la gueule d’un type à coups de pierre, sous des larmes à la fois rageurs et vengeurs. A trop prendre dans la gueule durant des années, on finit soit par être traumatisé, soit par en avoir marre et vriller. Dans mon cas et comme vous l’aurez compris, c’est la deuxième option qui l’emporta finalement. Faut dire que j’y étais pas allé d’main morte et que ça avait impressionné d’autres gosses dans le lot. Dont une bande. Qui m’accepta rapidos et qui commença à me défendre. A croire que ma gueule d’animal acculé leur avait bien fait kiffer. D’ailleurs, c’est plus tard que Kamalo, le chef de la bande (et celui qui deviendra mon meilleur pote) me fera savoir que j’avais défoncé la gueule d’un type qu’ils visaient eux-mêmes. Comme quoi, le destin pouvait parfois être accommodant. Dans la bande d’petits branleurs, j’étais donc devenu le « Eminem » du groupe. Le seul blanc parmi des noirs. Un bon début.

On a fini par tous dériver durant l’adolescence. Tous. A faire des conneries, qui ont petit à petit mis la lumière sur notre dangerosité. Avec le recul, j’sais même pas comment on a fait pour avoir nos diplômes à la fin du lycée… Mais j’étais d’avis que l’école dans laquelle nous étions voulaient juste se débarrasser de nous en nous filant le diplôme gratos. On aurait peut-être pu continuer à l’université… On aurait pu… Sauf que personne n’avait les moyens… Ni l’envie. Alors, on a sombré dans la pire des délinquances : dans le grand banditisme, en intégrant des gangs. Et c’est parti très vite. Des vols aux cambriolages, des passages à tabac aux meurtres… Il n’y a qu’un pas. Et nous la franchîmes rapidos. Trop rapidement même. Au fil des ans, on a fini par se faire un nom… Et à trop prendre la confiance, aussi ; si bien que la police finit par en avoir assez et à nous forcer à cavaler dans tout le pays. Une traque qui dura quand même longtemps, mais qui se termina par l’intervention d’un quidam :

Adrian Salzeman.

Comment est-ce qu’il nous avait retrouvé ? Mystère ! Toujours est-il qu’il nous avait débusqué et même maitrisé, avant de nous offrir son offre en or. Mon meilleur ami refusa sec, mais moi… Faut dire que j’étais bien partant pour sortir de la misère. Comment avais-je été convaincu ? Par la force dont il avait fait preuve. S’il avait voulu nous la mettre à l’envers, il nous aurait livré aux autorités, très certainement. Alors, plutôt conquis, j’abandonnai lâchement mon pote et je suivis alors Adrian jusqu’à sa fameuse île où j’eus immédiatement une vie meilleure. Abandonner Kamalo avait été un crève-cœur, mais l’avenir me donna raison. D’abord intégré dans l’équipe Oméga pendant quelques temps, mon efficacité et mon zèle au travail finit par payer, si bien qu’au bout d’une poignée d’années seulement, on me donna le poste de chef de l’équipe Bêta. Un poste plutôt pépère qui m’allait comme un gant. Que demandait le peuple ? J’avais un toit, du fric, un métier pépère qui me permettait de mater des gros culs. L’avenir promettait !